Droit de réponse à l’article de Mediapart « À Saint-Brévin, la solidarité avec les réfugiés triomphe des fauteurs de haine »

Nous sommes des membres du collectif antifasciste du Pays de Retz ayant participé à lancer l’appel à mobilisation pour l’accueil des personnes exilées et contre le fascisme ce samedi 25 février 2023 à Saint-Brévin-les-Pins. Nous sommes stupéfait.e.s des confusions, incompréhensions, erreurs et, globalement, du mépris médiatique d’Antoine Perraud, journaliste qui a rédigé et publié cet article.

Nous exerçons notre droit de réponse car nous estimons que le traitement de la mobilisation rapporté par Antoine Perraud ainsi que la condescendance dont il a fait preuve sur Twitter doivent être questionnés. Nous sommes également sidéré.e.s qu’un tel article ait pu être publié par un des rares médias de gauche indépendants et censé avoir une ligne ferme sur l’antifascisme.

Si nous sommes d’accord avec le constat global que la mobilisation fasciste a fait un flop (et nous nous en réjouissons), nous sommes en désaccord profond avec l’analyse qui est faite des mobilisations et les jugements et omissions du journaliste, qui semblent relever davantage de la blessure d’égo, d’une méconnaissance de son sujet et d’un choix politique hasardeux et opportuniste plutôt que d’une volonté de présenter une analyse politique, pourtant nécessaire en ces temps de fascisation.
En exerçant notre droit de réponse, nous souhaitons présenter des éléments relatifs au contexte local, à la brève histoire de ces différentes mobilisations et à un compte-rendu précis du déroulement des évènements de la journée, choses absentes de l’article d’Antoine Perraud, et indispensables à la bonne compréhension des événements qui se sont déroulés samedi 25 février à Saint-Brévin-les-Pins.

  • Une explication détaillée du contexte local dans notre appel à mobilisation antifasciste.
  • Signalons également le billet d’un participant de la manifestation antifasciste de l’après-midi sur le Blog de Mediapart, qui permet de mettre en lumière le déroulement de cette mobilisation et certains enjeux locaux.
  • Et le compte-rendu accompagné de photographies de militants antifascistes présents à la manifestation de l’après-midi.

Une mobilisation fasciste nationale minimisée par les médias, dont Mediapart

Forts de la tribune inespérée donnée à leurs propos racistes, et revigorés par leur coup de force à Callac, un grand nombre d’organisations et de médias fascistes ont appelé à se mobiliser le samedi 25 février pour une nouvelle journée d’actions. Parmi celles-ci, Reconquête, Civitas, l’Action Française, Oriflamme (groupuscule néo-nazi de Rennes), Riposte Laïque, Breizh Info, le Parti de la France, la Caraque et Place d’Armes. La communication d’extrême-droite faisait miroiter des « invités surprises », en plus de leur tête d’affiche Gilbert Collard, président d’honneur de Reconquête et parrain de la mobilisation. Un mot d’ordre : « Après Callac, Saint-Brévin ! », et un cri de ralliement : « Protégeons nos enfants ».
En quelques recherches sur internet, Antoine Perraud aurait ainsi pu mesurer l’ampleur de la mobilisation fasciste annoncée. Il ne l’a de toute évidence pas fait, puisque ce fut à l’un des membres de notre collectif de lui fournir les informations qu’il a sollicitées en dernière minute. Peine perdue, puisque le même journaliste prétend publiquement sur Twitter ne pas avoir eu vent des arguments des antifascistes (qui n’en auraient donc pas…).
L’article d’Antoine Perraud se présente comme le compte-rendu vaguement lyrique de sa déambulation dans la ville de Saint-Brévin lors de la journée de mobilisation du 25 février.
Contrairement à ce que décrit le journaliste, la mobilisation du matin ne se présentait pas comme antifasciste mais « citoyenne et pacifique ». Le Collectif des Brévinois attentifs et solidaires (CBAS), composé notamment d’élu.e.s et qui a organisé la manifestation, ne s’est jamais revendiqué de l’antifascisme mais a au contraire tout fait pour éviter de politiser radicalement la question de l’exil. Les organisations qui ont pris la parole ont majoritairement tenu des propos libéraux et compatibles avec les propos tenus par Darmanin sur les personnes exilées. Le casting pourtant inquiétant des intervenants de l’après-midi, qui rassemblait donc les pires groupuscules fascistes et nationalistes de la région et au-delà, n’a pas été mentionné dans les prises de paroles citoyennistes, sinon de façon nébuleuse comme des « intolérants » ou ce qu’Antoine Perraud désigne lui-même comme « la coalition des préjugés racistes ».
Aucune organisation de gauche radicale n’a été conviée à prendre la parole, malgré la présence ce matin-là des syndicats Solidaires, de la CGT et du NPA. Les demandes de prises de parole de deux personnes, dont une militante anti-Centre de Rétention Administrative racisée, ont été refusées, malgré l’insistance du député de la NUPES présent qui souhaitait que cette dernière prenne la parole après lui. Les exilé.e.s ont été présenté.e.s à plusieurs reprises comme des personnes qui souhaitent s’intégrer, travailler et peuvent être utiles à la société, légitimant une nouvelle fois un tri entre les bon.ne.s et les mauvais.e.s exilé.e.s.
Les 900 à 1200 manifestant.e.s qui ont participé à la mobilisation de 10h (où nombre d’antifascistes étaient présent.e.s aux côtés de citoyennistes) ont quasi tous et toutes déserté la place de la Mairie à la fin de la mobilisation. Aucun.e des organisateurices n’a appelé à rester sur place l’après-midi pour réduire au maximum l’intensité de la manifestation fasciste qui s’annonçait. Ce n’est pas le cas des antifascistes (dont les syndicats Solidaires et CGT faisaient partie) qui ont occupé la place de la Mairie jusqu’à l’expulsion violente par les forces de l’ordre. Les camarades se sont ensuite positionné.e.s sur le rond-point à proximité pour empêcher les fascistes de rejoindre leur manifestation haineuse. D’autres groupes sont venus en aide aux militant.e.s présent.e.s le matin et resté.e.s l’après-midi.
Antoine Perraud écrit pourtant que « Ce matin-là, dans l’espoir d’être plus nombreux – et il l’aura été dix fois plus –, le peuple de gauche occupait le terrain à Saint-Brévin », puis : « Ainsi fut préempté, samedi 25 février 2023, le centre de Saint-Brévin-les-Pins, au détriment d’une coalition des préjugés racistes heureusement réduite à la portion congrue ». L’article réécrit donc les événements, attribuant à la manifestation citoyenniste du matin, aux « interventions graves et parfois sépulcrales » le mérite d’avoir occupé le terrain, qui était de toutes façons… vide ce matin-là, puisque le rassemblement des fachos était prévu l’après-midi.
En parlant du « peuple de gauche », dont « l’immense majorité… décampa sur le coup de midi », Antoine Perraud laisse ainsi penser que la mobilisation du matin a laissé place à celle de l’après-midi, avec pour seul espoir que sa motivation, son ampleur et sa volonté politique soient supérieures à celles de son adversaire politique. En réalité, et comme nous l’avons souligné, la mobilisation de l’extrême droite était annoncée comme un évènement important, qui rassemblait des organisations et groupes dépassant largement le cadre local et même régional. Si l’ultra-droite a échoué à rassembler en nombre ce jour-là, si Gilbert Collard a annulé sa venue, c’est en grande partie grâce au travail de communication réalisé en amont par les antifascistes, ainsi qu’à leur présence le jour-même. L’article laisse penser que « les valeurs humanistes ont triomphé des préjugés » sans préciser les modalités ou les conditions d’une telle victoire.
A partir de 14h, pendant que les 150 à 250 fascistes autorisés à manifester par l’État crachaient leur haine raciste et que des groupuscules ultra-violents faisaient des saluts nazis, 200 à 300 camarades antifascistes faisaient leur possible pour contenir leur présence, leur visibilité et leur pouvoir de nuisance tout en étant réprimés par les gendarmes mobiles. Nasse, coups de matraques, gaz lacrymogènes, grenades de désencerclement, fouilles et contrôles d’identité… le dispositif répressif était à destination des militant.e.s antifascistes et les quelques 300 à 500 gendarmes étaient mobilisés afin de protéger la manifestation fasciste et éviter la confrontation entre militant.e.s antifascistes et fascistes. L’État est complice du fascisme en autorisant les mobilisations fascistes partout en France. Le 25 février, d’autres manifestations portées par Reconquête avaient lieu, notamment à Belâbre (36), village de 900 habitant.e.s où une centaine de manifestant.e.s d’extrême-droite / fascistes se sont également rassemblé.e.s contre l’installation d’un CADA. À Beyssenac, en Corrèze, une vingtaine de militant.e.s de l’Action Française se sont également réuni.e.s.

Seules les ripostes antifascistes franches permettent de limiter les dangers que représentent les organisations fascistes et leurs membres dans l’espace public. A Saint-Brévin, la menace même d’un appel antifasciste clair et large fait peur aux fachos les moins radicaux et à la population locale xénophobe, ce qui est déjà une victoire !

Accusation de confusionnisme sur des militant.e.s antifascistes : qui est le vrai confus ?

Malgré cela, Antoine Perraud écrit « Peu auparavant, de jeunes antifas confusionnistes, dissimulés par des masques sanitaires et des bonnets jusqu’aux sourcils, nous avaient fait passer un sale quart d’heure : au prétexte que nous sommes journaliste, donc forcément vendu à tous les pouvoirs – même, et pourquoi pas surtout, en travaillant à Mediapart ». Comment dire… Les mots nous manqueraient presque tant cette phrase reflète mépris et déconnexion totale du journaliste avec les enjeux militants et ceux de l’antifascisme.
Tout d’abord, le port du masque devrait être salué et non pas moqué. Nous sommes toujours en pandémie (bien que les discours gouvernementaux et les comportements collectifs et individuels puissent nous en faire douter, ainsi que certains articles relativistes de mediapart). De plus, porter un masque et dissimuler son visage autant que possible est une évidence lorsque la surveillance et la répression des militant.e.s politiques peuvent les mener à des poursuites judiciaires lourdes et que les fascistes photographient à tour de bras pour identifier et violenter celleux qui s’opposent à eux. Faire passer cette mesure de précaution venant de personnes qui se protègent vis-à-vis de divers types de représailles et de répressions pour un « réflexe pavlovien » nous laisse songeur… Quant à la précision sur l’âge des militant.e.s, elle confirme également des biais âgistes insupportables, eux-mêmes soutenus par les propos tenus par le journaliste sur Twitter, où le confusionnisme devient une « agressivité niaiseuse » provenant de « jeunes gens sans culture politique sérieuse » à qui le journaliste reproche grosso modo de ne pas avoir lu Hara-Kiri…
Nous souhaitons rappeler que la défiance des antifascistes et globalement des militant.e.s politiques de gauche (et de droite d’ailleurs) vis-à-vis des médias, y compris des médias de gauche, est indéniablement légitime lorsque l’on connaît les biais capitalistes, racistes, misogynes, LGBTQIA+phobes, validistes, spécistes, etc. des médias ainsi que le traitement qu’ils peuvent réserver aux luttes d’émancipation et aux militant.e.s. Il suffit d’ailleurs de lire l’article écrit par Antoine Perraud pour le confirmer, cela ne risque donc pas de s’arranger… De plus, c’est oublier beaucoup trop vite l’histoire locale… mais pour cela, il faudrait avoir une culture politique mise à jour, dont les références vont au-delà de la Révolution de Juillet en 1830 !
Antoine Perraud, visiblement doté d’une culture politique supérieure, aurait par exemple pu rappeler les enjeux actuel et passés de l’antifascisme. Il aurait pu évoquer les milices néo-nazies qui ont fait des saluts nazis dans l’espace public ce samedi 25 février à Saint-Brévin, il aurait également pu évoquer les organisations fascistes présentes et la stratégie nationale de Reconquête pour faire empêcher tout projet d’installation de lieux d’accueil d’exilé.e.s (voir ce qu’il s’est passé à Callac et ce qui se déroule en ce moment à Beyssenac et à Bélâbre), il a préféré mépriser publiquement les antifascistes et montrer une méconnaissance de son dossier. Par ailleurs, conspuer des militant.e.s antifascistes et préférer soutenir la mobilisation citoyenniste et des propositions plus que questionnables comme la Convention Citoyenne sur les Migrations (dont la promotion rappelle des souvenirs des récupérations politiciennes comme SOS Racisme ou le MRAP) montre bien qu’Antoine Perraud manque décidément de culture politique. Ou qu’il a un sens de l’opportunisme développé. Nous espérons que ce droit de réponse lui apportera une curiosité vis-à-vis des luttes antifascistes dont il a considérablement besoin.
À une époque où l’antifascisme est criminalisé, en France comme ailleurs, les journalistes qui se présentent comme des allié.e.s des luttes sociales et des gauches radicales feraient bien de se renseigner sur l’utilité structurelle de telles actions pour contenir les discours et actes fascistes qui ne cessent d’augmenter. Ce ne sont pas les belles paroles et les idées citoyennistes qui ont fait échouer la mobilisation d’extrême droite mais une diversité de tactiques autonomes réunies par les antifascistes.
Nous serons toujours solidaires de journalistes qui subissent le fascisme et ses méthodes (menaces de mort, violences physiques…) et apportons tout notre soutien aux journalistes et rédactions visé.e.s, particulièrement récemment à Callac. Nous souhaitons que les médias et journalistes en fassent autant avec les militant.e.s antifascistes et se saisissent des questions de l’antifascisme de manière claire et radicale.

Siamo tutti antifasciti !
« C’est pas les migrant.e.s qui sont de trop, c’est les réacs et les fachos ! »